Deuxième prix :

 Il est toujours six heures maintenant 

Paul Renier

Notice :

La pièce intitulée« Il est toujours six heures maintenant. », se déroule dans un futur proche dans la clinique Le Chapelier qui implante des Modulateurs Chrono Perceptifs (MCP) c’est-à-dire des boîtiers permettant de faire varier non pas le temps lui-même mais la perception du temps du patient.
La pièce est prévue pour cinq comédiens et comporte trois personnages principaux : Sonia (le médecin), Hicham et Marion (les hôtes d’accueil), ainsi quelques personnages secondaires : des patients de la clinique.


 Synopsis :

La pièce est divisée en 6 tableaux : Dans le 1er tableau, Sonia, le médecin reçoit une jeune fille qui doit se faire implanter un MCP.
Au tableau 2, Marion présente sa nouvelle enveloppe corporelle à Hicham, Sonia reçoit un patient qui souhaite installer un inhibiteur de sensations avant que des intrus pénètrent dans la clinique.
Marion a été blessée et doit subir une virtualisation dans le tableau 3. On apprend également qu’un projet de loi facilite l’implantation des MCP.
Hicham découvre, dans le tableau 4 la nouvelle Marion et se fait licencier.
 Dans ce 5e tableau, un patient sollicite Sonia pour la mise en place d’un boîtier de contrôle à distance des MCP et Hicham demande une virtualisation.
Enfin, Sonia fait des tests sur Hicham et découvre une nouvelle fonctionnalité pour le MCP.
 

Inspirations

L’univers de la pièce s’inspire d’œuvres d’anticipation comme Les Furtifs de Damasio, de séries comme Altered Carbon ou de BD comme Alt life de Falzon et Cadène. Elle interroge les conséquences des modifications cybernétiques : modulations du temps, inhibiteur de sensations ou virtualisation.
 

 

Biographie express


Né au Havre en 1979, Paul Renier enseigne le français et le théâtre en région parisienne.

Il a écrit deux pièces de théâtre : Après la fin, publiée chez l’Harmattan et Le bruit de la disparition, sélectionnée par le collectif A mots découverts, publiée en auto-édition. En 2019, paraît son premier roman intitulé Neige de mai aux éditions Sur le fil.

Tous ses textes abordent la question du fantôme comme découverte de l’autre en soi, l’espace qu’il creuse en nous, la tentation du vide et la métamorphose dans le genre de l’anticipation comme dans des textes plus personnels.

Début de la pièce

Salle d’attente d’une clinique, comptoir, sièges et un box en avant-scène pour les consultations.
  
Tableau 1
Une enfant accompagnée de sa mère s’agite sur sa chaise. Un autre patient attend très calmement, avec des gestes comme ralentis quand il tourne la tête. Le temps passe. Plusieurs noirs, l’enfant est de plus en plus agitée.
Sonia en blouse blanche. Hicham derrière le comptoir, habillé d’une blouse bleu pâle.
 
HICHAM : Zélie, c’est à toi.
La mère et la fille se lèvent.
Sonia se dirige vers la mère et la fille, puis les accompagne vers le box :
SONIA : Nous avons eu les résultats des examens et le compte-rendu du psychologue, nous pouvons proposer un MCP à Zélie.
LA MERE : Les traitements qu’elle a suivis jusqu’à présent n’ont pas marché vraiment. C’est une mère d’élève qui m’a conseillée de venir ici.
SONIA : Et elle a eu raison. La mise en place du MCP est une intervention très légère qui améliore considérablement le quotidien des patients. Le MCP est un procédé déjà utilisé dans de nombreux ministères, en particulier le ministère de l’Ordre et celui du Travail. On le propose aujourd’hui aux patients en rééducation, pour certaines dépressions également. Depuis deux ans seulement, nous l’utilisons pour l’hyperactivité des enfants ou la précocité mais c’est déjà autorisé depuis 6 ans aux Etats Unis et les résultats des études sont encourageants.
LA MERE : C’est douloureux ?
SONIA : Une incision légère derrière l’oreille droite, on met en place le MCP, c’est en ambulatoire, on ne dort même pas à l’hôpital. Puis une journée de mesures, calibrage, mise au point, et voilà.
LA MERE : Et ça consiste en quoi ?
SONIA : Le MCP est l’acronyme de Modulateur Chrono Perceptif, c’est-à-dire qu’il permet de modifier non pas le temps mais juste notre perception du temps. Un peu comme la différence entre la température réelle et la température ressentie en météo. Pour l’hyperactivité il suffit d’augmenter le « TR » « temps ressenti » par rapport au « DC » « déroulement chronologique ». Zélie aura l’impression que le temps en classe passe plus vite et sera moins susceptible d’être agitée.
LA MERE : Il y a des risques ?
SONIA : Il faut calibrer la machine sur le bon ratio TR/DC et les horaires de fonctionnement et c’est tout.
LA MERE : Et si elle touche la machine ou la dérègle ?
SONIA : Impossible, il y a un code de contrôle parental. Et la clinique est ouverte tous les jours, 22 heures sur 24.
LA MERE : D’accord. Zélie, tu es d’accord ?
L’enfant acquiesce.
SONIA : Je vous laisse donc prendre rendez-vous à l’accueil pour l’intervention.
Sonia raccompagne la mère et l’enfant.
 
HICHAM : Docteur ?
Sonia passe son doigt derrière son oreille droite.
SONIA : Oui.
HICHAM : Il y a ce monsieur qui attend depuis 3 heures, est-ce que vous auriez un créneau pour le recevoir, le Dr Brunetti a dû partir en urgence ?
SONIA : Il vient pour quoi ?
HICHAM : Problème de MCP.
SONIA : Calibrage ?
HICHAM : Non, dysfonctionnement. Enfin, à ce qu’il dit.
SONIA : Ils disent tous ça, mais c’est eux qui essayent toujours de modifier l’appareil. La dernière fois, j’ai eu un patient , qui avait tellement voulu ralentir le TR, qu’il était incapable de parler convenablement, il débitait des mots qui se mangeaient les uns les autres. Quand j’ai pu enfin recalibrer le zinzin, il a avoué que c’est parce qu’il voulait profiter au max de la dernière soirée avec sa copine avant qu’elle parte en Chine. En plus il avait pris un excitateur, avait flippé parce que d’un coup, il sentait chaque fragrance de son corps, [en mimant des guillemets] qui se décomposait en minuscules molécules qui venait heurter au ralenti sa fosse nasale.
HICHAM : Vivement qu’ils implémentent le contrôle à distance.
SONIA : Comment vous êtes au courant de ça ?
HICHAM : Le Dr Brunetti en parlait l’autre jour.
Un temps.
SONIA : Allez, je veux bien recevoir votre gus.
Sonia passe son doigt vers son oreille, accueille le patient dans le box. Noir.