2ème Prix ex aequo

Intelligence et Bêtise artificielles

Pierre Benazech

La pièce comporte 4 rôles :
- Lucien
- ROBOT K-25
- ROBOT J-70
- M. JACQUES
Il n’y a jamais plus de trois comédiens sur scène.  Les robots sont asexués et peuvent être joués indifféremment par des femmes et/ou des hommes.   Unité de lieu, de temps et d’action.
 Durée : 40 minutes


Note d’intention

 L'intelligence artificielle est au cœur de l’actualité. Celle-ci suscite espoir et enthousiasme chez une grande partie des scientifiques et des technophiles. Beaucoup y voient une chance de progrès dans des domaines variés comme la médecine, les transports, l’aide à la personne, ou encore la conquête spatiale. Mais, en même temps, l’IA soulève de nombreuses questions éthiques. Plusieurs personnalités craignent que des machines deviennent un jour plus intelligentes que les humains et finissent par les dominer. D’autres redoutent des conséquences dramatiques en matière d’emploi, l’IA condamnant certains métiers à disparaître. L’intelligence artificielle fascine donc autant qu’elle inquiète. L’ensemble de la communauté scientifique s’accorde pour dire qu’elle sera un des grands défis du XXIe siècle.

Mais, qu’en est-il de la bêtise artificielle ? En effet, la pensée automatique peut aussi se révéler profondément stupide et être à l’origine de situations absurdes. Il m’a semblé intéressant de développer ce thème dans le cadre d’une comédie et de prendre ainsi à contrepied les débats actuels.

Intelligence et bêtise artificielles est une pièce à la fois originale et pleinement ancrée dans notre époque. Son objectif est de divertir le grand public tout en l’invitant à la réflexion. Elle porte enfin un message optimiste et nous rappelle ce que nous avons de plus précieux : notre humanité…

 

Résumé de la pièce

 Lucien, retraité, souhaite déposer une réclamation urgente auprès de l’Administration. Un robot-secrétaire l’accueille et lui offre un café conformément au protocole. Lucien explique que l’Administration a enregistré son décès par erreur et que ses biens viennent d’être saisis. Le robot lui pose alors une série de questions complètement absurdes avant de conclure qu’il ne peut pas accepter sa demande, car les morts n’ont pas le droit de déposer de réclamation.

Le retraité réplique qu’on lui a servi un café froid contrairement au protocole et exige un rendez-vous avec le responsable du service. Le robot-secrétaire panique et part à la recherche de son supérieur. Un autre robot entre alors en scène. Lucien parvient à le convaincre qu’il est bien en vie. Mais, contre toute attente, l’automate sort un révolver et le met en joue. Celui-ci explique au retraité qu’il doit le tuer pour le mettre en conformité avec la base de données de l’Administration. À la dernière minute, le robot reçoit l’ordre d’épargner Lucien. L’automate lui indique que le chef de service, Monsieur Jacques, veut le rencontrer. Le robot quitte la scène.

Monsieur Jacques fait son entrée. Vénéneux, il déstabilise le vieil homme à plusieurs reprises par ses discours sur la conscience. Il explique notamment qu’il peut programmer un robot de manière à ce qu’il soit persuadé d’être une personne humaine. Peu à peu, Lucien comprend qu’il est en fait un robot qu’on a voulu déconnecter à distance. Anéanti, il se laisse mettre hors service manuellement par Monsieur Jacques.

Le chef de service quitte la scène, laissant Lucien seul, yeux fermés, tête basse, bras ballants. Deux robots font alors leur apparition et se disputent sur la procédure à suivre pour recycler le retraité. Soudain, Lucien se réveille et scande au public « vive la vie ! » avant de s’enfuir.

Biographie express

Ancien avocat en droit de la propriété intellectuelle, Pierre Benazech travaille désormais dans le numérique et l’intelligence artificielle comme in-house counsel. Il aime les livres depuis toujours, en particulier ceux de science-fiction. Parfois, il lui arrive d’en écrire.

Début de la pièce

(Lucien entre dans un bâtiment de l’Administration. Il s’adresse au robot installé debout au guichet.)
LUCIEN : Bonjour, je cherche le bureau des réclamations.
ROBOT K-25 : C’est ici, Monsieur. Je suis le robot matricule K-25. Puis-je vous offrir un café ?
LUCIEN : Non, ça ira. Merci ! Je voudrais déposer une réclamation urgente. Je m’appelle Lucien Rascol et…
ROBOT K-25 (pose deux doigts sur sa tempe) : Attendez, veuillez m’épeler Rascol.
LUCIEN : R.A.S.C.O.L.
ROBOT K-25 : Né le 16 septembre 1988 ?
LUCIEN : Oui.
ROBOT K-25 : Retraité de l’éducation nationale ?
LUCIEN : C’est ça.
ROBOT K-25 (décolle ses doigts de sa tempe et annonce enthousiaste) : Vous êtes décédé, Monsieur ! Puis-je vous offrir un café ?
LUCIEN : Justement… C’est la raison de ma venue. Je suis victime d’une erreur informatique. Des robots sont venus chez moi ce matin pour saisir mes meubles et m’expulser de mon domicile. Apparemment, l’Administration m’aurait enregistré comme décédé alors que je me sens très bien…
ROBOT K-25 : Monsieur, avez-vous rédigé un testament ?
LUCIEN :  Non. Pourquoi ?
ROBOT K-25 : À défaut de testament, les biens reviennent à l’Administration au moment du décès. La procédure T-Z-0-3 est donc tout à fait respectée. Puis-je vous offrir un café ?
LUCIEN : Attendez ! Ce que je voulais vous dire c’est que je ne suis pas décédé. Il doit y avoir une erreur dans votre base de données.
ROBOT K-25 : Monsieur, la base de données est infaillible. Vous avez été incinéré il y a 5 jours, 13 heures et 37 minutes.
LUCIEN : C’est faux ! je n’ai jamais été incinéré ! Je suis au contraire bien vivant. Sinon, je ne serai pas en train de vous parler en ce moment même…
ROBOT K-25 : Monsieur, ce n’est pas à vous de décider ce qui est vrai ou faux. Seule la base de données peut définir votre état actuel. Or, vous êtes enregistré comme « décédé ». Vous avez été incinéré il y a 5 jours, 13 heures et 38 minutes.
LUCIEN (tapant du poing sur la table) : Mais c’est absurde ! Vous comprenez bien que je ne suis pas un tas de cendres !
ROBOT K-25 : Je ne comprends que ce qui est écrit dans la base de données, Monsieur.
LUCIEN (soupirant) : Bon, essayons autre chose…
ROBOT K-25 : Puis-je vous offrir un café ?
LUCIEN (très agacé) : Non !!!
(Un silence)
ROBOT K-25 : Nous avons aussi du décaféiné, si vous préférez.
LUCIEN (se montrant du doigt) : Bon, regardez-moi bien.
ROBOT K-25 (s’approchant en plissant les yeux) : Oui.
LUCIEN : Qu’est-ce que vous voyez ?
ROBOT K-25 : Un homme de petite taille…