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La Grande Cause nationale

Jean Jacques Jouannais

   PRESENTATION-SYNOPSIS DE « LA GRANDE CAUSE NATIONALE. »

             Cette pièce de théâtre en un acte met aux prises cinq personnages : un Président de la République, son Premier ministre, la Présidente de la Fédération des démocraties occidentales, un philosophe également astrophysicien, enfin une jeune cinéaste à succès versée dans la science-fiction.

            Il s’agit d’une réunion de crise. Le Président ne cache pas son inquiétude face à la montée de périls, le premier d’entre eux étant une violence qui s’exprime à tout bout de champ sur fond de contestation permanente de son action, y compris par certains acteurs institutionnels. Ce phénomène n’est d’ailleurs pas spécifique au pays qu’il dirige, d’où la présence d’une observatrice étrangère.

            D’entrée, il propose à ses partenaires de concevoir, sur fond de supercherie, le scénario d’une grande cause nationale ayant pour objectif de resserrer les liens sociaux et de refaire ainsi l’unité nationale autour d’un thème fédérateur. Plusieurs hypothèses – guerre, catastrophe naturelle, épidémie – sont avancées par les participants. Mais c’est la jeune cinéaste qui trouve le meilleur angle d’attaque en suggérant de mettre en scène une invasion imaginaire de la planète par des extraterrestres.

            Il se trouve que la réalité a déjà dépassé la fiction. En effet, le Premier ministre ainsi que la représentante des démocraties occidentales sont eux-mêmes des extraterrestres, qui ont vécu l’essentiel de leur vie sur la Terre dans la perspective d’une prise de pouvoir. La décision du Président va brusquement précipiter le mouvement : leur apparence se trouve légèrement modifiée, les obligeant à se dévoiler dans un climat de scepticisme général. Jusqu’à ce que la vérité éclate.     

Biographie express

Manifestant depuis son plus jeune âge un intérêt très vif pour l’imaginaire sous toutes ses formes, de l’insolite à la science-fiction en passant par l’anticipation, l’horreur, l’épouvante, J.J.Jouannais a exploré la quasi-totalité de ses composantes à travers de nombreuses nouvelles, voire des pièces de théâtre, parfois dans le cadre de concours ou d’appels à textes.

Dans ce domaine littéraire qu’il juge important, notamment en raison de sa dimension prophétique, il a publié plusieurs textes sur l’univers de Lovecraft, celui des robots, le fantastique classique, l’horreur, le surnaturel, les vieux mythes, l’uchronie…

Début de la pièce

         SCÈNE 1
Le Premier ministre, Martha Kremel Ginette Bordenave, Norman Dupeyroux, puis le Président
Une pièce à l’ameublement vieillot. Au fond, derrière un bureau Empire, une fenêtre masquée par de lourdes tentures de velours rouge. Dans un recoin situé à droite de la scène, on aperçoit une petite porte. Sur le devant, une table basse de forme ronde autour de laquelle sont disposés cinq fauteuils. Y ont pris place le Premier ministre Ludovic Bongrain, un bel homme d’une cinquantaine d’années arborant un épais collier de barbe et la présidente de la Fédération des démocraties occidentales Martha Kremel Tous les deux sont en train d’examiner ce qui ressemble à des courbes de croissance. Légèrement en retrait, une jeune femme séduisante en tenue décontractée, la cinéaste Ginette Bordenave, sourit aux propos du philosophe et astrophysicien Norman Dupeyroux ; tous deux sont assis de chaque côté du cinquième siège, celui du président Noël Moncar, qui est pour l’instant inoccupé.
LE PREMIER MINISTRE, après avoir replié ses feuilles : Le temps que le président arrive, je propose que l’on fasse les présentations. Bien sûr, cela ne s’applique pas à vous, chère Martha, dont la renommée est internationale, mais à nos deux invités de la société civile.
MARTHA, avec un léger accent : Mais, mon cher, la scène internationale n’est pas, heureusement d’ailleurs, que politique. Artistes, écrivains, philosophes et scientifiques y ont toute leur place. À cet égard, la réputation de notre ami Dupeyroux au-delà de vos frontières   n’est plus à faire, et j’ai beaucoup apprécié les derniers longs métrages de mademoiselle Bordenave. Cela dit, je trouve curieuse, voire artificielle votre distinction entre les politiques et les gens de la société civile alors qu’ils peuvent parfaitement, au gré de leur évolution personnelle, se ranger dans les deux catégories ou quitter l’une pour l’autre. Parfois, la comédie du pouvoir ménage de ces surprises !
LE PREMIER MINISTRE : Je voulais simplement préciser qu’ils sont tous les deux très proches du couple présidentiel. Hélas, la Première dame ne sera pas des nôtres, ce soir. Elle est alitée à cause d’un mauvais rhume, la fédération syndicale de l’énergie ayant procédé à quelques coupures sauvages d’électricité dans le quartier. Le jour où, comme par hasard, on vérifiait l’état des groupes électrogènes du palais. Naturellement, ils étaient, sans mauvais jeu de mots, au courant. Je crois que ce monde est devenu fou. La violence ne connaissant plus de limites, l’exercice du pouvoir devient impossible, et notre pauvre président est au bord de la dépression. Pendant ce temps, la majorité silencieuse s’effrite face à notre incapacité à rétablir l’ordre puisqu’il n’est même plus question de réformes. Cela reste entre nous. Le président n’apprécie pas que je tienne de tels propos à nos visiteurs.
MARTHA : Décidément, vous avez bien des problèmes en ce moment. Mais rassurez-vous, vous n’êtes pas les seuls. En ma qualité de présidente de la fédération des démocraties occidentales, je reçois des réclamations de toute part. Dans mon propre pays j’ai beau aller au-devant des gens, me perdre en beaux discours, je deviens inaudible. J’imagine que c’est pour cette raison que nous sommes réunis en ce moment, et pas seulement pour discuter des perspectives économiques ?
LE PREMIER MINISTRE : Le président Moncar et son épouse sont très affectés par la situation actuelle et cherchent des solutions. Mais il vous en dira plus dans quelques instants. Justement, le voici !